Retour sur l'épisode qui a causé la crue de la Sorgue et rappel des grandes crues dans le Sud Aveyron (article de Pierre Miquel en collaboration avec Guillaume Fontanilles) :
Dans une contexte marqué par une fréquence exceptionnelle des épisodes méditerranéenns sur le sud de la France, les intempéries ont frappé avec une rare violence l'aire géographique drainée par les rivières Dourdou, Sorgue et Cernon, comparables aux fréquentes intensités de la "vraie Cévenne". De graves inondations ont affecté les zones les plus vulnérables, implantations humaines dans le lit majeur des cours d'eau, comme Versols, Saint-Rome de Cernon, St-Georges de Luzençon, les plus gros dégâts concernant Saint-Affrique. Lors de cet épisode, la Sorgue manifeste un débit de pointe comparable à celui d'inondations mémorables : 1930, 1933, 1953, 1992 ; sur le Dourdou s'ajoutent 1982 et 1999.
L'épisode du 28 novembre 2014
Déclenchement des premières cellules orageuses sur les crêtes héraultaises vers 3h du matin, vent de Sud-Est soutenu (force 5-6). Progression rapide vers l'intérieur du Rougier d'averses brèves et violentes, suivies d'accalmies souvent plus longues. Les plus fortes intensités se concentrent seulement en matinée sur le bassin du Rance, plutôt l'après-midi sur le Millavois. Selon ce balancement, l'épicentre se localise sur les bassins Dourdou, Sorgue et Cernon, les vagues orageuses gagnant en puissance au fil des heures.
La vive réaction des cours d'eau à l'intensité pluviale se révèle sur les 3 diagrammes, celui de la Sorgue au poste de St-Félix, point stratégique pour Saint-Affrique (temps de propagation 1h30-2h selon les débits), de plus en plus torrentiel :
- 1er pic à 6h45 avec 4,48m ; cumul pluviométrique de 40mm en 3h dont 20mm en 30min (intensité décisive pour la réaction de la rivière). Légère rémission, mais encore même niveau à 9h30 avec cumul de 28mm en 2h45. Une relative accalmie ramène la côte à 3,58m à 11h45 avec un cumul de 16mm en 2h15 ;
- 2ième pic à 14h45 avec 5,62m ; cumul de 32mm en 2h30 ;
- 3ième pic fatal pour Saint-Affrique avec 6,49m à 17h15 après 2h de stabilisation ; cumul de 50mm en 3h !
Diagramme de la Sorgue à Saint-Félix de Sorgues du 27 au 30 novembre 2014 (extrait du site www.vigicrues.gouv.fr)
Les profils hydrologiques se ressemblent sur les 3 bassins-versants, calqués sur la forte irrégularité des vagues orageuses, parfois surprenantes par leur brève intensité. Ces "salves" se sont multipliées sur des lignes orageuses bien structurées, accentuant l'empilement des pics de crue suivant la succession rapide des cellules orageuses d'amont en aval, aggravant davantage la situation vers Saint-Affrique. En outre le pic de Saint-Affrique (6,80m à 19h) précède nettement celui de Camarès (5,30m à 19h au lieu de 4,50m en 1992) à la confluence des deux rivières, d'où 6,62m enregistrés à 20h à la station du Poujol à Vabres l'Abbaye. S'il y avait eu concomittance des pics de crue de la Sorgue et du Dourdou, les ravages seraient pires qu'en 1953 du coté de Saint-Izaire !
Pourquoi une telle furie ?
La cause première de ces évènements, considérés encore exceptionnels, s'explique par les mécanismes immuables de la circulation des masses d'air en automne. Le contraste habituel air froid - air chaud humidifié maintes fois évoqué, fût plus fréquent en raison d'une Méditerranée encore à 19°C. Le lent déplacement d'une "goutte froide" du Maroc vers les Baléares du 27 au 30 novembre, responsable d'un "retour d'Est" a déclenché les intempéries sur la partie occidentale du golfe du Lion. Un puissant système pluvio-orageux, bien alimenté en air chaud, se déplace progressivement du bassin de l'Orb, vers le Larzac et le Rougier puis les Corbières.
Le 28 novembre, de 3h à 19h, l'épicentre du système s'aligne de l'Escandorgue aux raspes du Tarn, balançant d'Ouest en Est entre bassin du Rance et de la Dourbie. Ainsi, le Saint-Affricain est frappé par un épisode qui déversent globalement 200mm en 24h tous les 5-10 ans. Il s'agit d'un type mixte, à grande extension géographique, marqué par le développement d'une ligne orageuse à tendance stationnaire.
Le prolongement sur le Sud-Aveyron est favorisé par l'affaissement du relief entre Espinouse et Aigoual. Comme toujours dans ces cas-là, les cumuls pluviométriques sont les plus élevés près de la ligne de crêtes, mais cette fois, côté "sous le vent" avec 345mm au Clapier, 295mm à Tauriac de Camarès et une diminution lente vers l'aval avec 210mm à St-Beaulize, 140mm à St-Affrique. C'est la signature de violentes cellules orageuses qui se succèdent selon leur rythme irrégulier habituel tout au long de l'épisode, sur des sols saturés par des pluies modérées les 3 jours précédents (30-50mm tombés sur le bassin le 24-25 novembre)
Des crues très agressives, liées à la virulence des averses et à la topographie des bassins récepteurs, se développent sur ces bassins de petites dimensions (Dourdou, Sorgue et Cernon, drainant respectivement 385, 272 et 220km2) sensibles au seuil d'intensité horaire de 20-30mm, largement dépassé cette fois sous les vagues orageuses. Les 200mm tombés à St-Félix en 15h sur 150km2 environ donnent un débit spécifique de la Sorgue qui se produit en moyenne 1 fois tous les 50 ans.
Références officielles du 20ième siècle
27 septembre 1992 : plus hautes eaux connues à St-Affrique, pic de 5,80m à St-Félix de Sorgues et puissant débit durant 24h. Maximum pluvial entre Cornus et Lapeyre, 179mm à St-Beaulize en 8-10h environ, après les 182mm du 21 septembre sur la même zone (plus de 200mm en de nombreux points). Caractère torrentiel sur des sols saturés, alors que le Dourdou réagit moins vigoureusement en amont de Vabres l'Abbaye.
20-22 octobre 1933 : un épisode extrême qui ressemble au précédent, quelques repères détectés à St-Félix, Versols et St-Affrique, hauteurs voisines de 1992. Probablement un système orageux très violent sur le Guilhaumard. Le Dourdou est moins affecté, néanmoins 6m au confluent avec la Sorgue. En revanche, crue référence pour le Cernon (bien au dessus de la cote de 5,40m de 1992 à St-Georges). Seulement 4,51m pour le Cernon le 28 novemre 2014. La cote exceptionnelle du Cernon en 1992 à St-Georges de Luzençon s'explique par le ruisseau de Mayres qui a développé un énorme débit, répercuté soudainement sur le Cernon.
6-9 décembre 1953 : puissance exceptionnelle développée en 2 phases de type cévenol. La Sorgue atteint un pic inférieure à 1992 (estimation à 5,60m), mais surement la plus grosse lame d'eau écoulée à St-Félix. Le dimanche 6, la Sorgue est en crue. Elle retrouve le lit mineur le lundi aprés-midi. Toute la plaine alluviale est à nouveau submergée du mardi au mercredi soir. La hauteur enregistrée en aval de la confluence Dourdou-Sorgue : 7,10m demeure toujours un record (débit comparable à celui de 1982 à Montlaur pour le Dourdou).
7 novembre 1982 : à Camarès le Dourdou enregistre les plus forts débits connus, issus d'un épisode à grande extension géographique, pluies extrêmes en tête de bassin, de puissance comparable à celui du 1-3 mars 1930, volumes de crues remarquables jusqu'à la confluence malgré la diminution des débits spécifiques (cotes respectives de 6,10m et 6m).
18 octobre 1999 : à Vabres l'Abbaye le Dourdou développe une crue torrentielle provoquée par un système stationnaire très localisé (ressemblance avec le 17 septembre dernier) avec maximum pluvial entre Brusque et Montlaur (180mm) mais des cumuls supérieurs à 200mm en 6h localement ! La Sorgue n'est touchée qu'en aval de St-Félix, alors que la cote s'élève à 5,53m sur la confluence de Bedos.
Un risque d'aléa plus dangereux
La crue de la Sorgue du 28 novembre 2014 s'avère donc l'évènement le plus marquant de cet épisode méditerranéen sur l'Aveyron. L'inondation a franchi un seuil plus dévastateur lorsque la rivière "s'emballe" suite à la montée en puissance du phénomène en fin de journée. Et pourtant le suivi du profil hydro-météorologique montre que ces épisodes virulents conservent une sensible marge de progression au cours de ce 21ème siècle. L'exemple du Rance, le 12 septembre 1875 qui atteint la cote de 8,80m avec un cumul pluvial de 500mm en 24h sur le bassin, au cours d'un épisode à extension maximale (du Haut-Minervois au Mont Lozère) s'avère l'évènement le plus important et exceptionnel connu jusqu'à ce jour dans la région. Si la comparaison est possible, les cotes récentes au pont de St-Sernin (4,10m le 13 novembre 1999 et 4m le 28 novembre 2014) paraissent dérisoire malgré une agressivité certaine. En outre, les mécanismes atmosphériques n'excluent en rien la localisation d'un tel paroxysme sur l'un des bassins versants Sorgue ou Dourdou, susceptible de se reproduire dans un avenir plus ou moins proche. Donc des solutions doivent se concrétiser pour réduire la vulnérabilité des zones menacées, en commençant déjà par mieux disposer les repéres de crues.
Vidéo de la Sorgue en crue le 28 novembre ((c) silberpfeil Jeff) :
Autre vidéo ((c) LNdu12) :
Auteurs :
Pierre Miquel, natif de Roquefort sur Soulzon, habitant de Saint-Félix de Sorgues, est retraité, professeur d'histoire géographie et titulaire d'une maitrise de géomorphologie et d'un doctorat en climatologie. Il est l'auteur du livre "Excès climatiques sur la montagne Languedocienne et conséquences catastrophiques" recensant les plus grandes intempéries qui ont touché la région (forts épisodes neigeux, violentes tempêtes, crues torrentielles, etc..).
Guillaume Fontanilles, de Rayssac (Vabres l'Abbaye), créateur du blog Météo Sud-Aveyron, passionné de météorologie.